Comment réaliser un Trail Centre VTT en France : Un vrai produit touristique à votre portée !

En prenant exemple sur la réalisation récente du Trail Centre de Bessans en Haute Maurienne, qui est la première de France, cet article vous expliquera :

  • ce qu’est un Trail Centre VTT (prononcer Trail Center, et à ne pas confondre avec le Trail running = dans notre cas on pourrait traduire par « Centre de sentiers VTT »)
  • en quoi il s’agit de produits touristiques très intéressants, basés sur le VTT et pourtant complètement inconnus en France.
  • les différentes étapes de mise en place du projet, les difficultés, les points de vigilance, avec le témoignage du maître d’ouvrage !

Toutes les photos de cet article ont été prises à Bessans, dans la jolie forêt de Chantelouve.

Bonne lecture !

NB : Toutes les photos de cet article ne sont pas libres de droits.

1. Un Trail Centre c’est quoi?

On pourrait résumer cela par un espace dédié à la pratique VTT, bien plus grand et plus étendu qu’un simple bike park, et à vocation touristique : le but c’est de faire venir du monde et générer des nuitées. Concrètement, cela se traduit souvent par un réseau d’itinéraires de Cross Country, de différents niveaux. Question longueur, cela va de quelques km à plus d’une cinquantaine, très rarement au delà : la qualité prime et non la quantité. « Mais ça existe déjà chez nous depuis longtemps les parcours VTT! » me direz vous ! Eh non. Car on ne parle pas de la même chose. Dans le concept trail centre, les parcours VTT sont créés spécifiquement, et cela fait toute la différence !

Quelles différences? Elles sont multiples :

  • Les parcours sont conçus pour procurer un maximum de sensations pour les vététistes, avec un maximum de passages et sections ludiques
  • On peut avoir une harmonie du niveau de difficulté sur tout le parcours, et donc améliorer grandement la sécurité
  • Les parcours sont faits avec des techniques spécifiques de design et de construction, leur permettant d’être bien plus résistants que des parcours dits « naturels » face à l’érosion liée à l’eau, ou aux nombreux passages des vélos.
  • Les parcours sont bien souvent interdits aux piétons : il n’y a plus de conflits d’usage
  • Les parcours sont conçus pour le plaisir des pratiquants mais aussi pour les besoins des socio-pro : ils sont un outil  économique.
  • L’intégration et l’impact sur l’environnement sont contrôlés

Voilà des parcours de XC créés spécifiquement, niveaux vert, bleu, rouge et noir de gauche à droite et de bas en haut. Ce sont plus de 10km de parcours qui ont été réalisés dans un petit périmètre, facilement accessible depuis le village de Bessans, et maillés avec les autres parcours « traditionnels ».

 

Le concept de trail centre a montré de multiples fois sa capacité à être un produit touristique majeur. Pour reprendre un exemple par pays, on pourrait citer les références Bike park Wales en Grande Bretagne (75.000 visiteurs en 2018), Whakarewarewa Forest en Nouvelle Zélande (230.000 visiteurs en 2018), Kingdom Trails aux USA (137.000 visiteurs en 2018) ou encore la Vallée Bras du Nord au Québec (35.000 visiteurs en 2018).

Plus proche de nous, il y a la Trysil Bike Arena en Norvège, que nous avons dessinée et réalisée avec les équipes locales (depuis 2013, travail de développement toujours en cours) : c’est désormais la plus grande destination VTT de toute la Scandinavie, avec 66.000 « biker days » en 2019, l’équivalent des journée-skieurs, mais en VTT. Un futur article suivra, à propos des retombées économiques, mais vous pouvez déjà en avoir un aperçu ici et là.

Le concept de Trail centre se développe le mieux en campagne ou en moyenne montagne, mais il n’est pas incompatible avec la montagne. Au contraire : il constitue alors un produit qui n’est plus dépendant des remontées mécaniques, mais avec lequel il peut se compléter à merveille, avec par exemple des parcours reliés à un domaine de descente à proximité. Il faut par contre renoncer à une exploitation hivernale…

Des singletracks ludiques, de tous niveaux, qui serpentent dans la forêt, avec des modules : voilà l’esprit Trail Centre ! 

2. Comment faire pour avoir un Trail Centre sur mon territoire?

Le préalable, mais sans doute l’essentiel : Avoir une stratégie touristique bien définie. Un trail centre ne s’improvise pas. Si cette stratégie est bien claire et que le VTT doit y prendre une place importante, alors voilà la marche à suivre :

La première étape c’est la connaissance! Dans le cadre de notre étude préalable avec la Haute Maurienne Vanoise, nous avons montré des exemples, parlé du produit, montré des photos, fait lire des témoignages… Un expert de l’International Mountain Bike Association était même venu sur site dans le cadre de ce projet, pour confirmer avec nous que le territoire était adapté.

On se souvient aussi que, en Norvège, un des éléments déclencheurs qui a permis à Trysil de lancer l’investissement de 3 millions d’euros dans son projet : le maître d’oeuvre a organisé un educ’tour en Ecosse avec les élus et financeurs potentiels du projet, pour qu’ils comprennent ce qu’est un trail centre, en l’essayant, en le voyant vivre, en voyant la clientèle, et comprenant comment est dépensé l’argent…

La deuxième étape c’est de s’entourer de gens qui savent dessiner un masterplan, et qui vont pouvoir définir si un trail centre est adapté à votre problématique, et si oui comment cela pourrait s’articuler avec d’autres aménagements vélo (pumptracks, parcours enduro, autres parcours déjà existants etc…). Il va falloir dimensionner correctement le projet, puis en dessiner les détails. De très nombreux facteurs qui vont rentrer dans l’équation à résoudre, en voilà une liste non exhaustive:

  • Maîtrise foncière
  • Sensibilités environnementales
  • Contraintes réglementaires
  • Contraintes et opportunités de terrain (topographie, sols, végétation)
  • Intégration du projet avec les autres activités sportives ou traditionnelles déjà en place sur le site (randonnée, chasse, exploitation forestière, agro-pastoralisme par exemple)
  • Budget
  • Conditions climatiques
  • Interaction et complémentarité avec les autres aménagements VTT (pumptrack, parcours enduro, descente, espaces d’apprentissage etc…)
  • Parvenir à conserver l’intérêt et l’essence du projet malgré ces « contraintes »
  • etc…

Trouver le meilleur compromis parmi tous ces paramètres, c’est la 3è étape ! C’est bien souvent le coeur du problème, et c’est là que réside la phase la plus chronophage, car la compétence et la technique ne feront pas tout : un volet politique entrera en jeu. Pour résoudre cette équation, il vous faudra donc des élus motivés, des techniciens locaux également motivés et compétents, un assistant à maître d’ouvrage qui connaît son sujet, de la diplomatie, de la pédagogie et de la patience !

Dans le cas de Bessans, deux sujets ont été particulièrement longs à solutionner :

  • Les sensibilités environnementales multiples d’une part, autant physiques qu’écologiques : une étude d’impact a été réalisée par un bureau d’études compétent, et plusieurs mesures de protection ou de compensation ont dû être mises en place. Le projet a nécessité de nombreuses adaptations. Dans notre cas, il a fallu éviter de nombreuses zones humides, éviter des habitats de flore particulière, ne pas toucher aux arbres à cavité (et ne pas toucher aux arbres en général d’ailleurs, et même si nous avions le droit de couper de façon exceptionnelle un arbre ou deux, nous n’avons pas utilisé ce joker), ne pas entamer le chantier trop tôt dans l’été pour ne pas déranger l’avifaune sauvage, etc…
  • La maîtrise foncière : Les parcours passent sur de nombreuses propriétés privées, et il a fallu obtenir les accords de chacun d’eux, ou bien adapter les parcours à certains refus, ou certaines acceptations assorties de conditions… Parfois un vrai casse-tête ! Mais, que ces lignes soient l’occasion de remercier ces propriétaires : sans leur bonne volonté, rien n’aurait été possible.

Des parcours vus de dessus : A première vue c’est juste joli. Mais en tant que concepteurs, on y voit:

  • Une zone humide à gauche qu’il a fallu protéger en installant un module en bois
  • Une zone de mise en défends environnemental à droite qu’il a fallu éviter
  • Des propriétés privées qu’il a fallu éviter
  • Des contraintes topographiques assez fortes
  • De nombreux mélèzes et arbustes, qu’il a fallu préserver au maximum (pas de coupes d’arbres et préservation des racines)
  • Un accès de piste 4×4 (en haut à droite) qui permet de limiter les coûts d’aménagement et d’entretien, tout en permettant un accès plus facile pour la sécurité et une liaison avec d’autres parcours existants.

[Le point du vue du maître d’ouvrage]

Nous avons posé 3 questions à Arnaud Carboni, le technicien chargé du projet à la Communauté de Communes de Haute Maurienne Vanoise. Interview éclair !

BikeSo : Quels ont été pour toi les problèmes les plus compliqués à résoudre tout au long de ce projet?

AC : L’acceptation du projet par les élus et les locaux. Ils ne connaissaient pas le produit, et le scepticisme était grand ! Les élus ont compris les enjeux assez vite, mais les socio-pro ne voyaient pas bien ce qu’on voulait faire, et ne comprenaient pas pourquoi on ne faisait pas du VTT de descente, comme tout le monde. Ils sont restés sceptiques jusqu’à ce que le projet sorte de terre. Et là, ils ont tous dit « Ah ouais…. ». Ensuite, les problématiques foncières et environnementales ont été très longues à solutionner.

De quoi es-tu le plus fier dans ce projet?

La coopération de tous, quand il a fallu sans cesse adapter le projet pour trouver le bon compromis, y compris une fois les travaux commencés. Cela a nécessité des efforts importants de tout le monde. Et puis, bien sûr, je suis très fier du résultat.

Si tu devais donner 1 conseil à toute autre collectivité qui voudrait se lancer dans un projet similaire?

Oui : Ne rien lâcher! Nous aurions eu de multiples occasions et raisons de laisser tomber ce projet. Mais on s’est accrochés… Et ça a payé.

Arnaud Carboni en visite de chantier.

3. Le projet est validé, comment fait-on pour les travaux?

Une fois le projet validé, on peut alors affiner toutes les spécifications techniques et les chiffrages, puis demander à des entreprises de travaux de faire des prix. Nous aurions eu toute compétence pour faire le travail nous-mêmes, mais notre position d’AMO ne nous l’aurait pas permis légalement. Selon la taille du projet et les moyens de construction mis en place, cela pourra prendre quelques mois à quelques années pour finir le travail. A Bessans cela a pris 5 mois cumulés pour 10km, à Trysil 25 mois cumulés sur 5 ans pour 32km et 2 bike parks géants… « Things take time » disent les Américains, ils ont raison ! Il y a plusieurs manières administratives ou techniques de procéder, pour aller plus ou moins vite, mais là encore cela va dépendre des compétences locales et de la taille du projet. A Bessans, en tant qu’AMO, nous avons dessiné tous les parcours, formé puis encadré plusieurs entreprises locales qui ont fait les travaux selon les spécifications demandées, nous réceptionnions ensuite les parcours au fur et à mesure de leur achèvement.

Images de chantier. De la compétence et une bonne communication sont nécessaires. Celles-ci furent excellentes avec Gravier BTP et l’ONF, attributaires des marchés de travaux de terrassement et de modules en bois respectivement.

4. Les parcours sont terminés. Et maintenant ?

Comme dans tout produit touristique, les clients ne vont pas tous venir tous seuls. D’autant qu’une différence de taille sépare les Trail Centre anglo-saxons des français ou norvégiens : En Amérique ou en Angleterre, l’accès aux parcours est payant. En France et en Norvège, c’est gratuit. Le modèle économique est donc différent ! Mais, à l’instar du ski, ce n’est pas le ticket d’entrée qui fait l’essentiel de la recette sur le territoire : il s’agit bien des retombées annexes : location de vélo, hébergement/restauration, cours de vélo, sorties guidées, et de manière plus générale tous les services à inventer autour du produit. Un espace de type trail Centre comme celui-ci est donc un outil au service des socio-professionnels ! Un outil qui va faire venir des vététistes sur leur territoire. A eux de générer le business qui va avec !

Voici les éléments essentiels à avoir anticipé :

  • Communication auprès de la clientèle
  • Communication intra-territoire sur le produit
  • Services facilement accessibles
  • Moyens d’accès au site clairs
  • Entretien
  • Développement du produit

Voilà, vous savez (presque) tout ! ;-). Les travaux de pistes ont été achevés à Bessans en Novembre 2019, et n’ont été roulés à ce jour que par une poignée de locaux avant l’arrivée de la neige. Le site connaîtra en 2020 sa première année d’ouverture !

Allez hop! On va rouler ! Enfin, une fois que le virus nous aura laissé tranquilles…

[FOCUS SUR NOTRE EXPERIENCE]

On découvre le concept de Trail Centre en 2006, en tant que pratiquant (BikeSolutions n’existait alors même pas !). Depuis, nous en avons roulé plus d’une cinquantaine, dans le monde entier, dont plusieurs avec leurs concepteurs, pour échanger sur le produit, sa conception, sa vie. Notre première mission sur ce sujet intervient en 2012, et c’est un échec. Dans le même temps, le projet de Bessans émerge sur le papier car notre toute première étude avec la Haute Maurienne est en cours, mais on sait déjà que même si le projet va au bout il prendra du temps.

Un an plus tard en 2013, c’est une demande hors de nos frontières qu’il faut honorer : Masterplan de la future Trysil Bike Arena en Norvège, pour lequel l’objectif donné est clair : devenir la meilleure  destination VTT de Scandinavie et la N°1 en fréquentation… Pas simple, car Trysil part de zéro, et les stations d’Hafjell en Norvège et Åre en Suède sont bien installées devant… Mais l’objectif est atteint depuis 2018 :-).

L’année suivante en 2014, La Coopérative de la Vallée Bras du Nord à Quebec nous demande une analyse précise du site et des recommandations opérationnelles pour augmenter la fréquentation. Aujourd’hui, cet espace est la destination VTT la plus fréquenté de l’Est Canadien, et on est fiers d’y avoir participé. Le directeur de la coop en parle ici.

En 2014 débutent également les travaux correspondant à la mise en application du plan à Trysil,  qui se poursuit encore aujourd’hui. En Haute Maurienne, nous collaborons avec le maître d’ouvrage et tous les partenaires pour faire avancer le projet de Trail Centre de Bessans, de loin la partie la plus compliqué du projet. Heureusement d’autres parties du projet se concrétisent bien plus vite : espaces ludiques, parcours d’enduro…

Depuis, nous avons eu bien d’autres sollicitations, et certains projets très intéressants sont dans les cartons, en France mais pas seulement ! Vivement la suite !